Mieux comprendre le harcèlement : les repères théoriques
Le harcèlement est une notion complexe qu'il est important de définir pour mieux agir. Olivier Bailly pilote des enquêtes harcèlement au sein du Groupe JLO propose ici de mieux comprendre le harcèlement grâce à des repères théoriques essentiels.
Le harcèlement moral (et ses dérivés sémantiques comme le bullying ou le mobbing) est un concept diffus, juridiquement ambigu, auquel nous préférerons la formulation de « harcèlement psychologique au travail », davantage en phase avec l’approche Santé au travail que nous privilégions dans nos interventions et qui, selon nous, synthétise les différentes formes d’expression du harcèlement moral. Le harcèlement psychologique au travail est d’ailleurs identifié comme « la forme de violence organisationnelle la plus commune » (Di Martino, Hoel, & Cooper 2003).
Harcèlement : un phénomène pluriel
Le harcèlement psychologique au travail est un phénomène pluriel aux causes multiples. Il constitue une violence protéiforme, révélatrice des malaises profonds qui se vivent depuis plusieurs décennies dans la sphère du travail.
Il ne peut être décorrélé de ses dimensions organisationnelles, telles que :
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la précarisation de l’emploi,
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l’intensification du travail,
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la réduction de l’autonomie,
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les restructurations organisationnelles,
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les pratiques de gestion
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et le culte de la performance.
Cette problématique, loin d’être nouvelle, fait l’objet de recherches approfondies, en France, comme en Europe, aux Etats-Unis, au Canada, voire même, en Afrique du sud.
Plusieurs courants de pensées (Hirigoyen, Dejours, Leymann, De Gaulejac, Volkoff, …), loin de se faire concurrence, peuvent en fait se révéler complémentaires pour appréhender les enjeux de prévention liés au Harcèlement. Ainsi, « le harcèlement serait un processus psychologique induit dans un contexte de travail auquel il est lié et ce processus se caractériserait par une souffrance psychologique et morale du salarié ».
Harcèlement : un délit passible de sanctions
En France, si la question se pose depuis les années 90, sa reconnaissance comme délit passible d’amende (30 000 euros) voire d’emprisonnement (deux ans), ne date que de la loi dite de « modernisation sociale » publiée au Journal Officiel le 18 janvier 2002.
Cette reconnaissance fait d’ailleurs écho à l’obligation générale de sécurité qui incombe à l’employeur, et qui vise à prendre « les mesures nécessaires pour assurer et protéger la santé physique et mentale ainsi que la sécurité de ses salariés et le pouvoir de sanctionner tout harceleur » ; « Tout salarié qui procède aux agissements hostiles définis à l’article (L. 1152-1) est passible d’une sanction disciplinaire (L. 1152-5) »
Le harcèlement psychologique au travail serait donc un phénomène complexe, indissociable de l’exercice du pouvoir (horizontal individuel, horizontal collectif, descendant, ascendant, …).
Il est d’ailleurs intéressant de noter que certains traits de caractère ou arbitrages organisationnels, qui ont longtemps été valorisés (culture de la performance, management tyrannique, absence de régulation des écarts, ...) et qui peuvent encore l’être, ont fini par être identifiés comme de potentielles sources contributives du phénomène de harcèlement psychologique au travail et être sanctionnés par le législateur.
Pendant longtemps (et encore un peu aujourd’hui), la psychologisation des relations de travail, postulant que le harcèlement résulterait d’une relation interindividuelle « toxique » plutôt qu’un problème social ou organisationnel, aura permis de déresponsabiliser les entreprises.
Pendant un temps, il a été courant de considérer qu’il y avait une forme d’étiologie de la personnalité du « harceleur » et du « harcelé ». Heureusement, le consensus va désormais vers le fait que le harcèlement serait interprété comme la conséquence de choix d’organisation et une dérive de certaines formes de management, elles aussi conséquences de défaillances organisationnelles favorisant leur émergence.
Harcèlement : des causes organisationnelles
Le harcèlement serait donc, in fine, indissociable du contexte organisationnel (culture, climat et changements organisationnels, caractéristiques des emplois, …) et de la compétence du management (leadership, soutien social, conflit de rôles, …).
Ce consensus théorique rencontre cependant encore de fortes résistances en entreprise et dans les représentations, puisque l’on peut noter que cette situation se caractérise encore fréquemment par une « surévaluation systématique de la responsabilité de la victime allant de pair avec une sous-estimation des facteurs organisationnels ».
Autrement dit, la perception courante est que la victime serait responsable du fait d’être harcelé.
Ce biais, dans les jugements des situations, explique en partie, la carence de soutien du collectif, la répétition des faits et leur contribution à l’isolement des victimes.
Harcèlement : une responsabilisation des victimes
Selon la théorie « du monde juste » (Lerner) « une victime, lorsque les témoins ne peuvent agir, se verrait attribuer une responsabilité comportementale sinon morale dans ce qui lui arrive ».
Selon Pascale Desrumaux, Professeure de psychologie du travail et des organisations à l'Université de Lille, « le témoin se persuade qu’une victime souffrant d’un événement marquant est différente de lui et qu’elle est responsable de ce qui lui arrive.
Cette dévalorisation a pour but de maintenir une croyance en un monde juste et de préserver cet observateur de l’idée qu’il est également potentiellement victime » (Cahier de Psychologie sociale, 2007).
Selon Maarit Vartia-Väänänen, Docteur en psychologie et pionnière de la recherche sur la violence mentale au travail, « le harcèlement psychologique s’imbrique dans un processus interactif complexe dans lequel l’environnement de travail, l’organisation, les traits de personnalité de la victime et de l’agresseur, les caractéristiques générales de l’interaction humaine dans l’organisation et les caractéristiques des autres membres de l’unité de travail, contribuent à son apparition ».
Il faut donc comprendre que le type de comportement inhérent aux « harceleurs » ne peut s’exprimer que dans un environnement culturel le permettant ou le favorisant (ce qui inclut la protection inadéquate contre une menace perçue à l’estime de soi, l’expression de lacunes au plan des compétences sociales et le déploiement d’un comportement micro-politique).
Le harcèlement psychologique au travail serait ainsi, fondamentalement, le symptôme d’une organisation dysfonctionnelle (Vartia-Väänänen, 2003), dont les failles favoriseraient l’expression d’attitudes et comportements délétères qu’elle ne serait plus en capacité d’identifier et donc d’éviter.